sus’un fontayne
« Après avoir raconté des histoires pendant dix ans, donné à voir la silhouette sonore et vibratoire que la voix fait aux mots, j’éprouve une attirance irrépressible pour l’écriture destinée à la lecture silencieuse. C’est un ouvrage présumé tout autre pour lequel je me sens désormais en gourmandise. Dans ce domaine bien précis, tout ce qui constitue mon passé relève du tâtonnement. Et on peut tâtonner jusqu’à l’agilité. Mais un livre demande finalement son monde et exige une ascèse qui donne au territoire dénommé un corps pourvu de ses propres besoins . Il se pense pour et par lui-même tout en maintenant un niveau étonnant et permanent de porosité avec ce qui se présente à lui. Même si elle est physiquement indiscutable, j’aime résister tranquillement à cette distinction entre les écritures. Qu’elles se destinent à être lues ou écoutées importe peu quand l’auteur souvent se donne pour ambition de faire entendre sinon une voix au moins un rythme qui répondrait sans tapage au coeur consentant du lecteur. Avec SUS UN’ FONTAYNE, je raconte l’histoire d’un mort qui n’en a pas fini avec les vivants. Mais ça n’a rien d’un récit d’horreur. C’est une fraternité apaisée qui se manifeste au delà des limites de l’incarnation. Je livre comme une didascalie ce qu’entre les lignes et sans relâche je recherche en écrivant : La voix intérieure de ma lectrice, de mon lecteur, rejoint la mienne non dans son timbre mais dans sa musique, non dans sa panoplie sociale mais dans son souffle. Cette rencontre, seulement possible mais non certaine, souhaitable mais non acquise, demande des lueurs à l’intérieur de ce qui, plus technique et studieux, fait aussi l’écriture : Être résistant, avoir l’oreille, maîtriser l’onomastique, la focale, les références, connaître les mots comme on connaît les siens, leur tonale apparition, leur longueur, en bouche autant qu’en ondes, la mesurer comme on s’assure de l’étirement de son bras pour que la main atteigne, savoir quel verbe sera le bon os pour la phrase, quelle image le muscle qui détermine sa force. Et ce n’est pas une farce de dire que le but ultime est d’oublier tout cela, de composer en épousant le mouvement de découvrir pas à pas. Conscientiser ce plaisir indicible de l’agencement des paroles qui s’allongent et nous font échancrer le monde à la force des doigts pour en extraire inlassablement des histoires ». ambre oz
EXTRAIT
« Autour régnait un beau silence ouvragé par le chant ténu et répétitif d’un oiseau ordinaire. Et alors que tout n’avait été avant, pour vaincre le mutisme entêté de la muse, qu’aménagements fertiles et équinoxes propices, au prix des amours au prix des corps et des faims inassouvies, à tous les prix et dans les cris, les phrases désormais arrivaient à n’importe quelle moment du jour ou de la nuit, sans saison sans raisons comme une envie de se libérer les jambes d’une entrave métallique ou de tousser pour chasser la mort qu’on a attrapé dans les rues ou tirée le long d’une taffe d’herbe sèche qui vous décharne. C’est alors que j’ai commencé l’histoire. Sans filet. À point d’heure. Dans un déclin léger de tout mon être vers sa fin ».