Hong-Kong – Chine – rencontre avec 李易达 – mai 2016 – Carnet 3

« Quand es-tu arrivé ? Hier. Le soir mais avant la nuit qui ne vient qu’à seven thirty. Un jour inconnu, démembré, m’occupe depuis que j’ai laissé en France ma maison ouverte aux enfants. Tu es née là-bas ? Oui. À France en Italie ? Non en France qui n’est pas l’Italie. Chanel Armani dit-elle sans rire en rajustant la boucle dorée da sa sandale. Je suis née ici. Ma mère travaillait sur le marché flottant. Où ça ? Il n’est plus là. Tu as vu ma ville elle demande en montrant tout devant elle. Elle est fascinante sa ville. Une étrangeté brutale et attirante. Sans doute unique. Sûrement pas prévue dans les plans de Dieu. Les couleurs tout ça l’air, incroyables. Pas naturelle mais bien réelle. Pas un instant faite pour les gens et pourtant. Avant ici il y avait la préhistoire me dit-elle. Des ours, des tigres et puis des Yue. Viens au parc. Je la suis. Elle est leste, ouvre et ferme en cadence la croisée toute fine de ses jambes blanches qui éclairent l’asphalte. Nous nous asseyons sur un banc libre du Hong Kong Park, devant les tortues amassées sur les rares petits rochers de la mare. La ville est là. Les arbres immenses ne parviennent pas à masquer les tours gigantesques qui affleurent au plus près devant les montagnes vierges. La faune, familière et variée, irise les veines et un saut prend mon dos par les sentiments. C’est pour toi dit-il un jour inconnu. Un désir avec son langage. Qu’as-tu fait ensuite me demande-t-elle ? J’ai pris une nuit. Comme un bain. Blême et sans fin avec trop d’alcool et des amis des rires. Beaucoup de regards. Tu fais l’amour ? Elle rit. Oui j’ai fait l’amour. Puis je raconte encore. Une nuit sans recoins ni apprêts, et blonde de croire incessamment à l’arrivée du jour. Une nuit au visage refait avec un très grand ciel gris. Il faisait si bon. Tu arrives à la saison des pluies dit-elle. Dans Wan Chaï les filles font la pute même dans la pluie. J’ai peur de cette image qu’elle me donne. Qu’elle soit une image de sa vie. Elle raconte dans son anglais tout piqué de chinoiserie. La journée je travaille au cent septième étage sur Salisbury. Je coupe les citrons j’effeuille la menthe je remplis les petits pots de sauce et je balaie. Je sors la terrasse. La terrasse du cent septième ciel ? Non répond-elle, la terrasse. Et elle me montre ses biceps enfantins, des petits monts laiteux insignifiants. Son regard forme deux lignes d’horizon définitives. Noires. Que fais-tu toi ici demande-t-elle encore ? Je suis en voyage, en vacances. Les vacances c’est sans travail non ? C’est peur pas money money. Oui sans travail mais en y pensant souvent. J’aime mon travail. I don’t understand. Sorry rit-elle pour briser la cérémonie. Puis elle revient. Tu fais quoi ici dans le matin ? Je lui raconte. Des temps succèdent au temps sans tempo. Pour de faux. Elle se tait. Ne me regarde plus. Est lassée un instant de la différence. Amber ? Ambre. Ambré. Elle crie pour réussir à prononcer. Oui c’est ça et toi ? Moi c’est A. A ? Oui. A Lee. Je la regarde en silence. Elle se laisse faire. Je vais aimer ton pays A. Ici tout date de maintenant et les choses de dix mille ans flottent mensongères dans la mer. Mais si je fais un plan au revers d’un diaphragme gonflé de peu et tout parsemé de particules d’argent ou quelque chose d’approchant, je vois une histoire. J’en ai envie. A sourit. Elle est petite et belle. Blanche façon blanche neige avec une mini bouche rouge. Ses deux bras fins sortent tout droit d’une chemisette de plumetis. Elle se regarde souvent dans les vitrines et les miroirs. Sur nos selfies. Ça ne va jamais. Les peaux sont fourbues ici, peaux de soif qui cherchent leur oxygène dans la brume et leur soie dans la mer de Chine. Elle sort un petit poudrier bleu et deux rouges à lèvres nacrés. Je fais un masque de marques rit-elle dans son miroir de poche. Tu vas faire du shopping Ambré prophétise-t-elle. Des paquets avec le carton doux et le groom va appeler pour te les faire porter. Room number 4206. Elle continue. Je vois les touristes tous les jours. Elle les connaît par cœur. Nous marchons à nouveau dans les rues de l’île, peinant pour ne pas se perdre. Malgré sa voix haut perchée dans le nez je ne l’entends plus parler aux feux quand le bip-cloc s’accélère avant de passer au vert. Les sons emplissent jusqu’aux chairs. Les taxis rouges innombrables et tous vétustes – comme s’ils avaient été posés dans les rues le même jour à la même heure il y a longtemps – klaxonnent souvent et puissamment. Des chauffeurs brutes et jaunes de fatigue conduisent vite et mal en n’aimant personne, coiffés et attifés comme au saut d’un cauchemar, la clim à fond pour noyer le poisson. Leur font écho sans concordance des salves métalliques de tours qui meuglent aux brumes leurs croissances. Les bâtisses rivalisent pour habiter la toute richesse. Un luxe démesuré et des gens invisibles pour laver et relaver ce qui se souille à la vitesse de l’éclair. Des étages de boutiques, onze mille restaurants, des gens, quarante mille au kilomètre carré et des morts de bas en haut une lèpre vénale au bout des doigts du plus bagué au plus délabré. De beaucoup d’eau et de peu d’air chacun s’affaire érige le taux. Dans Causeway Bay un incongru petit corps d’écolier passe devant nous en courant dans l’espace saturé. À vive allure il rit et s’élit The Big Winner. No one knows but i tell A à l’oreille. He is the future. She says, me too. Et elle me donne un baiser. Les jours suivants je ne vois plus A dans le Mall Pacific Place près de l’hôtel. Je la cherche. Je voudrais bien l’aimer. J’erre. Mes yeux brûlent dans l’air pollué. Les lames de vigueur meurent d’elle-même dans la touffeur et quelques rares lacs d’eau claire dessinent des regards aqueux entre île et terre. Kowloon m’appelle quand je suis sur l’île et Hong Kong fait de même dès que je me retourne après la traversée du Star ferry qui sent bon l’eau salée et l’huile chaude des ports du monde entier. J’ai besoin de tout ce que je vois dans les vitrines. C’est beau. Plein de lumière. Je crois que je suis elles. Toutes elles qui sont si belles sur les photographies géantes. Je crois que je suis immortelle. Les grues s’activent lentement, en faune échassière de cette contrée de fer qui les nourrit de vacarme et de vent. Un rien s’engloutit dans les millions car un n’est rien. Seules peut-être les caves sont silencieuses et les solitudes aux mêmes membres, aux mêmes jonctions. Les égouts. À l’aplomb des particules nuit après nuit la misère s’épaissit et son levain menaçant n’éteint pas les lumières. Ceux qui savent sont déjà à l’abri. Mon vol décolle aujourd’hui. Levée avant tous les horaires je vois l’envers du jour. C’est bon d’aimer le monde. De partir et de revenir. Tout départ ralentit une ville. Elle se molletonne autour de la centration. Les objets jouent le jeu de la sélection. On trie, toi non ça oui. L’être s’affiche, parle aux choses. Une mince tension du moi se déploie qui croit chaque fois qu’il ne reviendra pas. Je plie en trois pour l’emporter, le papier déjà petit sur lequel, la langue au frais et le coeur là, A Lee a écrit son nom 李易达. For me. » ambre oz © photographies de l’auteur

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